Aussi, c'est dans un réflexe d'auto-protection, je pense, que j'ai réfléchi à savoir où j'allais me retrouver dans quelques heures. C'est la question qu'il m'arrive de me poser assez souvent, lorsqu'un des mes amis m'invite là où je n'ai pas l'habitude d'aller. On perd ses repères assez facilement, quand on est agoraphobe. Ou alors je prétend l'être, mais épouser à ce point une phobie, ça serait bien révélateur de ce qu'est le mariage pour un pessimiste : Un perte de temps, un gaspillage bien réparti, planifié parfois sans vraiment qu'on le sache, et scrupuleusement suivi jusqu'au bout, dans le pire des cas.

J'ai pourtant répondu très vite, parce que je savais que je risquais que mon envie se fasse doubler par ma prudence (le véritable nom de cette garce, est inquiètude). J'y pense un peu comme quand on dit "on tire d'abord, on parle ensuite". J'ai répondu sur le coup, pour réfléchir un peu pendant le trajet, sachant que ce serait de toute façon trop tard pour faire machine arrière. Même s'il m'arrive de peser le pour et le contre avant de m'engager dans ce que j'aurais appelé "des soirées improbables" (de mon point de vue), des années auparavant, enfin, je sais qu'une fois sorti de chez moi, ces barreaux proprement limés, je suis engagé par contrat moral pour continuer à aller de l'avant. Peut-être pour ne pas me décevoir moi-même, plus que pour ne pas décevoir d'autres, avec des excuses stupides, vaguement crédibles et cohérentes qui me permettraient pourtant d'abandonner. De revenir là où il fait chaud, là où je pourrais m'orienter de façon très certaine si jamais je devais soudainement être aveugle. À la grande condition que je range un peu le cloaque qui me sert de chambre.

C'est un bien grand mot, mais il est bien révélateur de ce qui me gène. J'envisage de faire disparaître d'un point de vue physique, définitivement cet amas de vieux cahierset classeurs, rares preuves de mes études "antérieures". Vive le numérique. Et d'en faire leurs propres équivalents dûment scannés, puis sauvegardés en pdf, ou autre formats sympathiques. Non, cette pièce est plus ma cellule qu'autre chose. D'où l'impérative nécessité de la quitter dès que l'occasion s'en présente, pour peu que je n'ai pas autre chose de plus important à faire. C'est donc pour ça que je me suis retrouvé en très bonne compagnie ces trois (ou quatre ?) dernier s jours. Un bon restaurant Japonais, l'occasion pour moi de constater (avec horreur ?) que plus le nombre de personnes qui m'entourent est grand, plus je ne peux m'empêcher de faire le pitre. Je ne me reconnais plus. Parce que je sais pertinemment que ce type qui parle, dont on rigole des idioties verbales, ça n'est pas le même que celui qui fait la formation developpeur informatique ("mainframe", oui, car j'ai relu la doc de la formation, je suis définitivement condamné à faire du cobol), ça n'est pas le même que celui qui traine un samedi soir au ugc Créteil Soleil avec son vieux pote en débattant de quel film les mettront d'accord (pour aller le voir, pas pour en parler ensuite), ni celui d'il y a un an, et peut-être même pas celui de dans un an.

De cette mécanique finement réglée qu'est la personnalité, on pourrait y voir concernant la mienne un ras le bol. Il n'en est rien. J'ai juste oublié, en chemin, de quelle marque de montre j'étais. Et peut-être était-ce ça, la raison qui faisait que je n'osait plus me montrer. On ne tire pas grand chose d'une montre sans pédigré, ou dont on ne se souvient plus de l'histoire, quand on veut la vendre. Au mieux. Au pire, on se fait avoir sur sa valeur, parce que l'acheteur est un escroc. J'en ai sans doute croisé, il y a longtemps. Pour résumer l'ensemble, j'ai plus l'impression de devenir schizophréne (mot que je ne savais pas même écrire il y a quelques secondes, merci google). Sinon, comment ai-je pû faire pour fréquenter autant de personnes aussi différentes, dans des contextes dont l'ambiance était si différentes pendant si longtemps. N'aurais-je pas dû en choisir une ? Peut-on choisir ?

Je n'aurais pas de réponses, sans doutes encore quelques questions, comme "Mais alors, que serais-je dans quelques années, maturité et expérience(s) mis à part ?" ou "Qui pourra me (re)connaître si j'en sais si peu sur moi ?"

Tant pis, vu l'heure qu'il est je ne vais pas tarder à rentrer chez moi.